Comment va l’Eglise ?


Versione italiana qui

En réfléchissant à la question « comment va l’Eglise ? », je me disais ces jours-ci qu’elle va comme elle a toujours été. La résurrection de Jésus a provoqué diverses réactions : la réaction pharisienne dure : l’icône en est Saul avant sa conversion persécutant la « voie nouvelle ». La réaction judéo-chrétienne, selon laquelle la résurrection de Jésus venant après son enseignement souligne la continuité entre lui et ce qui avait précédé ; la circoncision et la prière au Temple font partie de la figure ; l‘icône en est Jacques. La réaction chrétienne (du nom donné au mouvement de Jésus dans la ville païenne d’Antioche) : la circoncision n’est plus nécessaire et la baptême suffit ; la liturgie reste probablement la même au début, mais elle prend une certaine liberté, ce qui lui permettra de survivre après la destruction du Temple en 70 ; les icônes en sont Pierre et Paul : tous les deux ont d’ailleurs eu besoin d’une expérience forte de l’Esprit, le premier grâce à la demande du centurion Corneille, le second terrassé par la vision au chemin de Damas. Pierre est plus mesuré et cherche l’unanimité (on le voit à l’épisode d’Antioche, où il semble refuser de partager le repas avec les chrétiens venant du paganisme). Paul est plus drastique : il considère comme du déchet ce qu’il avait vécu avant sa conversion, se défend contre les attaques des juifs, voire des judéo-chrétiens, mais il doit bagarrer aussi contre les dérives de certains pagano-chrétiens, tentés par la gnose, les amalgames, les rites païens. Les lettres adressées par l’auteur de l’Apocalypse aux sept Eglises d’Asie nous manifestent elles aussi, dès les temps apostoliques, d’un côté une grande fidélité, de l’autre des dérives et des relâchements divers. Quand on considère tout cela,  on voit la portée ecclésiale des paroles de Paul sur la diversité des charismes et le primat concret de la charité.

Je crois que ces quatre icônes se retrouvent, se sont peut-être toujours retrouvées dans la vie de l’Eglise. Pour faire simple, on peut dire que, venant après une période , qui irait du Concile de Trente à la mort de Pie XII en passant par le Concile Vatican I, où l’Eglise s’était constituée en société parfaite très structurée et close, en conflit avec les environnements hostiles politiques et culturels , est venu le Concile Vatican II. Celui-ci a été en principe reconnu par tous les chrétiens, mais rapidement s’est posée la question de son interprétation et de sa mise en œuvre. Il y a alors eu le refus allant jusqu’au schisme afin de garder la forme d’Eglise précédente, – et ceci peut faire penser à « Saul ». Il y a eu l’herméneutique de la continuité, acceptant une mise à jour limitée, un « dépoussiérage » nécessaire, mais qui laisse au maximum en l’état le christianisme tridentin, regrette la mise à jour liturgique considérée comme rupture dommageable et conserve ou restaure les formes cultuelles et pastorales anciennes : ici « Jacques ». Il y a eu, en majorité semble-t-il, l’acceptation généreuse du Concile, la mise en route de la réforme liturgique, un effort de sortie culturelle et pastorale de ce qui était à la période précédente clôture excessive, un renouveau de la pensée et l’ouverture œcuménique : ici « Paul ». Cette interprétation ouverte s’est pourtant heurtée à bien des difficultés, pour deux raisons principales, je crois. D’une part, l’Eglise précédente n’avait rien vu venir, ou rien accepté de ce qui se dessinait de neuf avant le Concile : on est passé sans transition d’une clôture excessive à une ouverture tous azimuts, c’était brutal, et on est parfois passé d’un extrême à l’autre ! D’autre part, il y a eu la tentation des nouvelles gnoses, des idéologies, des orientations politico-sociales dangereuses pour la foi et menaçantes pour l’homme. « Pierre » est alors venu, cherchant, avec plus ou moins de bonheur et de cohérence, comme on dit à ménager la chèvre et le chou : à proclamer la validité du Concile et à gérer celle-ci dans un cadre ecclésialement et culturellement difficile.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Il me semble que « Jacques » a dominé ces dernières années. Avec le Pape François, « Paul » revient quelque peu, mais les résistances sont grandes et il semble que l’Eglise soit assez profondément divisée, dans un monde qui ne l’est pas moins et sur une terre devenue fragile. Pour garder l’’espérance, on peut se rappeler que l’expérience de la Résurrection n’a pas suffi aux apôtres pour se rendre compte de la nouveauté apportée par Jésus : il a fallu à Pierre comme à Paul une expérience mystique fulgurante. Et même celle-ci n’a pas réglé tous les problèmes. On peut espérer que l’Esprit ne fasse pas défaut à l’Eglise, non pour que l’unanimité arrive, mais pour que l’impulsion du Concile finisse par gagner les esprits moyennant un travail discret mais profond.

Parfois, je pense à la parole de Jésus : « Quand le fils de l’homme viendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre ? », à commenter avec cette autre : « Les jours de détresse seront abrégés à cause des élus ».  Peut-être bien que c’est le climat qui forcera Dieu à intervenir, avant que la  terre ne soit devenue inhabitable !

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