Le pape et l’œcuménisme


ecumenica2Au retour de ses deux derniers voyages au Moyen Orient, en juin et en octobre, le pape François a été interrogé par des journalistes sur l’œcuménisme : à propos des divisions entre Eglises d’Occident et d’Orient et à l’occasion du cinquième centenaire de la Réforme où nous arriverons en 2017. Les réponses du pape dans les deux cas sont étonnamment similaires, de sorte qu’on a là un bon résumé de ce qui lui semble recommandable dans une conjoncture de division confessionnelle.

François distingue deux catégories de personnes : les « théologiens » et « nous, le peuple ».

Les théologiens, des deux bords, sont forts et bons, ils ont de la bonne volonté : qu’ils étudient donc, qu’ils cherchent, qu’ils dialoguent. Leur travail est de longue haleine, leur résultat arrivera en dernier, mais le chemin est long, très long, et le pape semble avoir quelque scepticisme sur l’issue ultime. Dans une de ses réponses, il dit plaisamment : « Je connais le jour de l’unité pleine…: le lendemain de la venue du Fils de l’homme ». Nulle part, il ne précise l’intérêt actuel, présent, de ces rencontres, ni n’entrevoit l’hypothèse que ces discussions puissent avoir un impact concret sur la prière et les œuvres de miséricorde.

Pour les autres, « nous, le peuple », le chemin est tout tracé. Deux choses : il faut prier, prier ensemble, prier les uns pour les autres. Ensuite, il faut travailler ensemble, pour les autres : les pauvres, les migrants, les persécutés, les réfugiés, les personnes qui souffrent. Il n’est pas dit en quoi cette prière et cette activité communes ont un impact sur l’union des Eglises.

En résumé, « aujourd’hui, l’œcuménisme doit se faire en marchant ensemble, en priant les uns pour les autres. Et que les théologiens continuent à dialoguer entre eux, à étudier entre eux ».

Quelle peut être la réaction d’un théologien au vu de cette « répartition des tâches » ?

S’il accepte d’entrer dans l’ordre des priorités du pape, il verra dans cette invitation à l’action une expression du primat de la miséricorde : ceux qui se livrent aux œuvres de miséricorde rejoignent le cœur même de Dieu : ils entrent en quelque sorte dans la vérité et, en ce sens, ils sont un avec les autres. On n’attendait pas du samaritain une profession de soi conforme à celle qu’aurait pu émettre le prêtre ou le lévite, mais une conformité active à la foi, c’est-à-dire une mise en œuvre concrète de la charité miséricordieuse de Dieu. En second lieu, le théologien reconnaîtra l’urgence concrète dans cet espace où nous sommes : de la « 3e guerre mondiale », du paupérisme engendré par une mondialisation économique, des périls menaçant la planète etc., et donc d’une œuvre commune des gens de « bonne volonté » (cette expression revient dans la parole du pape, pour le « peuple », mais aussi pour les « théologiens ») : au regard d’une telle urgence, les discussions doctrinales ne sont pas au centre du processus d’unité. Comme me le disait un mien cousin qui était en Afrique du Sud, et très précisément à Soweto, aux derniers et plus tragiques jours de l’apartheid : « Tu sais, quand on est en plein combat, on ne se préoccupe pas de la spécificité des dénominations chrétiennes : on fait alliance et on agit ». Le théologien se persuadera encore à juste titre que, lorsqu’elles procèdent du plus haut responsable de l’Eglise catholique, les initiatives de bienfaisance et l’appel à se mettre en mouvement sont pénétrés des commandements de l’Evangile. En ce sens, ils sont œuvre d’évangélisation, car ils poussent à une conversion finalement évangélique, sinon de la foi, au moins de la vie. Ils rapprochent l’Eglise des hommes et les hommes de l’Eglise, et donc de Jésus-Christ, si on en croit sainte Jeanne d’Arc : « M’est avis que du Christ et de l’Eglise, c’est tout un ».

Tout cela dit avec conviction, il me reste un malaise. A entendre le pape François, on n’a pas l’impression que le dialogue théologique puisse avoir le moindre impact concret sur la prière et l’œuvre commune des chrétiens. On n’a pas l’impression non plus que le peuple chrétien puisse s’intéresser à ce dialogue comme à une intention essentielle à sa vie. Pourtant, l’œcuménisme est né de l’urgence d’une évangélisation commune, du scandale d’annoncer Jésus-Christ dans la division, et, s’il a progressé, c’est tout de même en grande partie grâce aux dialogues théologiques mis au service de cette exigence de l’Evangile : « Qu’ils soient un ». Bien des chrétiens qui ne sont pas théologiens de profession s’y sont intéressés et il est à souhaiter que le nombre en augmente. D’autre part, il est vrai que l’unité pleine n’arrivera jamais et que la réconciliation d’un côté peut susciter ou radicaliser des divisions de l’autre, mais cela dit il y a un objectif très concret dans l’effort œcuménique : la participation commune à la table eucharistique. Les Eglises ne sont pas des académies, mais des communautés ; on ne cherche pas pour lui-même l’accord doctrinal mais pour l’action symbolique qui sous-tend la prière et les œuvres : célébrer la mort et la résurrection du Christ dans une Eucharistie partagée. Il me semble que cela devrait rester très vivement à l’horizon de la conscience chrétienne, pas seulement des « théologiens », mais de « nous, le peuple » afin de rapprocher un moment qui doit venir.

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