J’ai reçu une lettre


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On parle de « l’encyclique » du Pape François. Le titre exact est « lettre encyclique », en français courant : « lettre circulaire ». Insistons sur le mot « lettre ». Il s’agit d’une lettre qu’une personne concrète, le pape François, Jorge Bergoglio, adresse à tout homme capable de lire, sur la situation préoccupante de ce qu’il appelle « notre maison commune ».

Une personne concrète : un chrétien d’Amérique latine, d’origine italienne, jésuite. Il a traversé le mieux ou le moins mal qu’il a pu, les années difficiles de son continent et de son pays durant la seconde moitié du XXe siècle. Il s’est laissé de plus en plus toucher par la réalité et le mystère de la pauvreté. Il a senti en profondeur les dysfonctionnements de notre société actuelle qui, lentement mais sûrement, excluent tant d’hommes et défigurent la planète, la « maison commune ». En ce sens, il s’inscrit à sa manière dans un espace spirituel et humain éclairé par des noms comme ceux de Helder Camara, Oscar Romero, Gustavo Gutierrez. Elu évêque de Rome et primat de l’Eglise catholique, sa responsabilité devenue mondiale le pousse à d’adresser à chacun et à tous : une lettre. Il l‘écrit à partir de son expérience, mais il n’écrit pas tout seul : il s’inscrit dans le prolongement de ce qu’on dit sur le sujet les papes qui l’ont précédé sur le siège de Rome. Mais pas seulement eux, beaucoup d’autres : les hommes de science et de réflexion qui étudient et parlent, et dont plusieurs l’ont aidé dans la rédaction de la lettre ; le Patriarche de Constantinople, qui a longuement abordé ce problème ; la conférence des évêques de bien des Eglises particulières dont il a lu les documents consacrés à ces questions ; divers auteurs, pas tous catholiques, dont les réflexions l’ont éclairé : de Dante à un soufi musulman. Au total, il envoie un texte personnel, relié, réfléchi, daté, crédible donc parce qu’humain. Un texte qui peut faire autorité parce qu’il procède de quelqu’un d’autorisé.

Comme jadis Jean XXIII dans la lettre Pacem in terris, la lettre Laudato sì s’adresse à tout homme : il ne s’agit pas en effet d’une question immédiatement confessionnelle, mais d’une menace sur le monde et sur la société. Le pape se réfère certes à la foi et à la pratique chrétiennes, mais qui le lui reprocherait ? On parle toujours de quelque part. On ne reproche pas au Dalai Lama son inspiration de bouddhiste tibétain ; si on est honnête, on reconnaît même le poids de cette inspiration dans sa parole et ses prises de position. Ainsi, la vérité humaine de la lettre de François procède-t-elle de sa conviction chrétienne. C’est peut-être même cela qui la rend lisible par tout homme. On pourrait dire alors qu’elle est un acte politique : une personne que sa situation religieuse, institutionnelle, humaine autorise à parler et le fait, afin de provoquer tout homme, toute communauté, à une réforme des idées et des comportements actuels de l’humanité, à tous les niveaux de la société.

Il y a urgence à lire cette lettre parce que, si on le fait sérieusement, on éprouve presque physiquement la lamentation qui se trouve dans la Bible au début du livre d’Isaïe : « Toute la tête est malade, tout le cœur est souffrant. Depuis les pieds jusqu’à la tête, rien n’est en bon état » (1, 5-6). La maison commune, comme dit le Pape, a les murs fissurés et les intérieurs délabrés.  Souvent, elle ne veut pas le savoir : « Tu dis : ‘je suis riche, je suis devenu riche, je n’ai besoin de rien’ sans savoir que toi-même tu es misérable, pitoyable, pauvre, aveugle et nu » (Apoc. 3,17). Le climat et plus généralement l’environnement ne sont que le point d’émergence d’une série de fractures sociales, politiques, économiques profondément connectées les unes avec les autres, de sorte qu’on ne voit pas bien par quel bout concret prendre le problème. Mais c’est peut-être là précisément que gîte la solution. Si tout homme, c’est-à-dire concrètement chacun, prend la lettre comme adressée à lui comme personne, comme situé dans une ou plusieurs communautés, employé dans une ou plusieurs entreprises, alors il se dira : « là où je suis, avec ceux qui m’entourent, que puis-je faire qui aille dans le sens d’une guérison du mal, d’un progrès dans le bien ? » et : « comment puis-je soutenir les autres, au niveau de l’écoute, de la parole, de l’action ? ». A qui lit soigneusement la lettre, il apparaît qu’aucune solution globale simple et unanime n’est concrètement possible. Fût-on – président des Etats-Unis ou chancelière de l’Allemagne fédérale, directeur de la Banque mondiale, on n’a pas la clef du problème. Pas davantage si on est travailleur agricole au Rwanda ou ouvrier chez Sud-Aviation. Mais chacun, l’homme politique, l’entrepreneur, le journalier mal payé, le retraité, le chômeur, l’émigré peut recevoir la lettre comme à lui adressée et y répondre comme il peut. Le pape d’ailleurs ne manque pas de mentionner les divers espaces, souvent éloignés les uns des autres, où quelque chose, si peu que ce soit, peut être perçu, compris, entrepris.

Nous ne savons pas ce que produira effectivement la lettre Laudato si’ à court, moyen et long terme. La question n’est pas de faire à ce sujet des pronostics. Elle est de prendre cette lettre comme à nous adressée par quelqu’un que sa personne, sa mission, son engagement avec beaucoup d’autres, autorisent à parler et requièrent fortement une lecture intelligente et active là où nous sommes. L’immense et invisible filet fait de tous ceux qui recevront cette lettre avec bonne volonté et volonté tout court contribuera alors au salut de la « maison commune ».

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